Histoire et patrimoine

La loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) contresignée par le Premier Consul Bonaparte avait prévu la fondation d’un lycée dans le ressort de chaque tribunal d’appel. C’est finalement à Orléans qu’est implanté le lycée du ressort, au grand désespoir du préfet d’Indre-et-Loire et du maire de la ville de Tours. « Enfin, les habitants de Tours et du département d’Indre-et-Loire ne sont pas plus dépourvus que les autres Français d’intelligence et d’aptitude pour les sciences et les arts, note le préfet. Il est sorti de ce pays, dans tous les temps, des hommes éclairés et célèbres… On peut ajouter à cela que la douceur du climat et l’agrément du site, qui influent sur les mœurs des habitants, semblent les appeler à la culture des arts de l’esprit, par des habitudes et des dispositions analogues à ce genre d’occupations ; d’un autre côté, ce caractère doux et paisible qui les distingue, ne laisse aucun lieu de craindre qu’ils abusent jamais des faveurs du gouvernement, et leur ville n’est pas du nombre de celles dans lesquelles un accroissement de richesse et de population serait un danger pour la tranquillité publique ».

La cité tourangelle doit donc se contenter d’un établissement municipal d’enseignement avec pension qui ouvre ses portes à l’automne 1803 dans les locaux de l’ancien séminaire Saint-Charles, devenu bien national en 1790. On y enseigne des « rudiments des langues latine et française et les premiers principes de la géographie, de l’histoire et des mathématiques ».

Le 16 février 1807, au camp de Preussich, à un quart de lieue du village d’Eylau, une semaine après la célèbre bataille, l’empereur Napoléon Ier signe le décret transformant l’établissement en « école secondaire communale », lui conférant ainsi une reconnaissance stable et officielle. En mai 1807, l’école compte six professeurs. Le 16 février 1809, un nouveau décret impérial érige l’école en « collège communal ». Et le 16 mai 1830, une ordonnance de Charles X transforme le collège communal en « collège royal », préparant ainsi la voie à l’érection en lycée de plein exercice.

Quelques jours après la Révolution de Février 1848, un décret du Gouvernement provisoire de la République, en date du 28 février, attribue de facto la dénomination de « lycée » aux anciens « collèges royaux ». On parle alors du « Lycée national de Tours », qui deviendra « Lycée impérial » en février 1853.

L’entrée des élèves rue des Minimes

Mais les querelles autour de la titulature définitive rappellent à leurs manières le « conflit » passé entre Tours et Orléans… En 1848, le célèbre lycée parisien Louis-le-Grand est autorisé à porter le nom de « Lycée Descartes », pour l’abandonner en 1849. Et le ministre de suggérer alors au lycée de Tours d’accepter cette référence à l’auteur du Discours de la méthode. Le conseil municipal de Tours accepte la proposition en août 1849, en dépit de l’avis de la minorité qui ne voit pas « la nécessité de donner un nom particulier au lycée de Tours qui est seul dans la ville ». Nouveau rebondissement en 1870 quand Louis-le-Grand reprend le nom de « Lycée Descartes », pour l’abandonner, en fin de compte, en 1873. Mais il faudra attendre le décret présidentiel du 15 décembre 1888 pour qu’enfin, mettant un terme à tant de rebondissements, le « lycée de garçons de Tours » adopte définitivement le nom prestigieux de « Lycée Descartes », tandis que le lycée de filles adopte le nom de « Lycée Balzac ».

Pensionnaires, demi-pensionnaires, externes doivent cohabiter sur un espace devenu très rapidement trop exigu, d’autant que les règles imposent, sur ce site, une nette séparation entre le « petit lycée » des classes maternelles et élémentaires et le « grand lycée » des classes secondaires et de la classe préparatoire scientifique créée en 1830. Les effectifs croissent régulièrement, même si, ponctuellement, les augmentations brutales des prix de pension entraînent des signes d’étiages. De 200 dans les années 1830 à 500 dans les années 1900, les effectifs frôlent le millier en 1938. Les réformes des années 1975 inaugurent la période des « hautes eaux » et, à la rentrée de 2008, le lycée compte 1590 élèves. Dès lors s’expliquent les aménagements constants des locaux, avec des phases de constructions : les années 1830-1850, 1850-1911 avec, notamment, la reconstruction du bâtiment en façade de la rue de la Préfecture, inauguré le 2 juillet 1911 par René Besnard, sous-secrétaire d’Etat aux Finances (un ancien élève) et Henri Dujardin-Baumets, sous-secrétaire d’Etat à l’Instruction Publique et aux Beaux-Arts. L’inspection d’académie peut alors manifester sa fierté en déclarant en 1912 que « le lycée de Tours peut rivaliser avec les plus beaux lycées de France ». Sans compter les réaménagements ultérieurs : la construction d’un gymnase municipal moderne en 2006, du nouveau bâtiment des sciences, du bâtiment E et la mise aux normes du nouvel internat de la rue Albert-Thomas pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles.

Maison d’éducation, le lycée est aussi une maison d’instruction et, au moins jusqu’aux ultimes années du XIXème siècle, la discipline calque celle des établissements militaires comme le Prytanée. Le début des cours est dicté par le tambour. L’uniforme est de règle, de couleur bleu indigo, aux parements dorés pour les internes, argentés pour les demi-pensionnaires. Le port de la barbe, pour les professeurs, est l’objet d’une attention particulière ; on redoute ces barbes longues et mal entretenues, rappelant les adeptes de l’anarchie… On exige le port de la toge dans les cours. On interdit même les contacts entre les petits élèves et les grands élèves, entre les pensionnaires et les externes dans les cours de récréation, par crainte des « jeux interdits ». Et l’analyse des délibérations des conseils de discipline permet de jauger les préoccupations des maîtres et des professeurs. Certes, on sanctionne la pratique de l’école buissonnière, les insultes, la désobéissance, le copiage ; mais les plus graves sanctions (souvent l’exclusion définitive) frappent les auteurs de vols et de dégradations. Preuve, s’il en est, de l’importance alors donnée au respect d’autrui et à ses biens, par un apprentissage bien compris des règles de vie et de civisme en collectivité…

Le corps professoral en 1895

Lycée pour les élites ou lycée d’excellence ? Le débat, récurrent, mérite attention tant il est vrai que ce cliché, souvent émis, copié, reproduit s’exempte de toute analyse à partir des archives. Avant tout, la sociologie du lycée Descartes reproduit celle de la ville de Tours, à une époque où la poursuite d’études secondaires restait l’apanage de la bourgeoisie. Mais des statistiques, dans les années 1930, démontrent que l’essentiel du recrutement concerne des enfants de petite ou moyenne bourgeoisie, qui place en position marginale les « enfants de très riches », souvent scolarisés dans les établissements religieux de la cité. La carte scolaire, à partir des années 1970, a pour effet de rendre raison au fameux cliché. Et, même en classes préparatoires aux grandes écoles, le quart des étudiants sont titulaires de bourses. Lycée d’excellence, oui, sans doute, si l’on observe les brillants résultats aux examens et aux concours d’entrée aux grandes écoles. Lycée d’exigence, certes. Mais doit-on regretter la réussite, les succès de l’enseignement dispensé ? Doit-on en avoir honte ? Doit-on regretter qu’un lycée permette la réussite ?

On commettrait sans doute la même légèreté de jugement en pensant que le lycée reste aujourd’hui le domaine de « l’élément masculin ». La conversion est certes tardive, mais le péché est rapidement réparé. A la rentrée de 1968, les premières jeunes filles entrent en classe de seconde, succédant à leurs cinq camarades qui, en 1947, et bien qu’originaires du lycée Balzac, sont admises en classe de sciences expérimentales, faute d’un effectif suffisant au lycée de jeunes filles permettant l’ouverture d’une section. Actuellement, tant pour les élèves que pour les personnels, la parité entre les deux sexes est établie.

C’est bien la preuve d’une adaptation permanente aux évolutions de la société. Les réflexions pédagogiques, dont on trouve de nombreuses traces dans les archives, traduisent un souci constant de rénovation. En 1906 déjà, on s’interroge sur les finalités de l’enseignement et le contenu des programmes ; on privilégie un enseignement aussi proche que possible des préoccupations et des besoins des élèves, au risque de porter l’anathème sur les langues anciennes et les œuvres littéraires par trop absconses…Et on ne manque pas de marquer ses distances, à l’occasion, avec les recommandations ministérielles. En 1956, au moment où une circulaire incite à supprimer la consommation de vin pour les pensionnaires, le conseil d’administration répond par une sèche et ferme fin de non-recevoir. Il faudra le prétexte de l’arrivée des jeunes filles pour qu’en 1973, on se décide enfin à remplacer le jus de la vigne par les jus de fruits… Il est vrai, que selon les archives, plus de 21 000 litres de vin entraient dans l’établissement en 1845 tandis que les pensionnaires n’avaient droit qu’à deux douches chaudes… par trimestre !

Adaptation pédagogique et évolutions structurelles. Le lycée perd progressivement ses petites classes pour se recentrer. Le recrutement en classe enfantine cesse à la rentrée de septembre 1960 et, en septembre 1964, le « petit lycée » a complètement disparu. Les classes de 6èmes sont supprimées à la rentrée de septembre 1968 ; celles de 3èmes disparaissent en septembre 1971.

Au lycée, on étudie et on se détend. A preuve ces chahuts mémorables, ces imitations des travers des professeurs, ces caricatures tracées secrètement sur des feuilles de brouillon pendant les cours, comme celles réalisées avec infiniment de talent par Jacques Remodeau, élève de 1938 à 1948. La détente, ce sont aussi les nombreux clubs, les promenades et les activités sportives. A telle enseigne que des élèves du lycée sont, en cette fin du XIXème siècle, les initiateurs et fondateurs des premiers cercles sportifs de la ville de Tours. Ce fort sentiment d’appartenance à un groupe ne se manifeste pas seulement par l’appartenance aux associations d’anciens élèves ou des personnels ; il trouve son expression dans les brillants palmarès sportifs des élèves du lycée Descartes…

La classe de Léopold Senghor en 1936-37

Comme toute « institution », le lycée Descartes, désormais lycée régional, s’honore aussi, en plus de ces nombreux élèves sur lesquels les archives ne conservent que peu de renseignements, d’avoir accueilli de très célèbres professeurs et instituteurs, des administrateurs d’expérience, des personnels de service attachés avec enthousiasme à la vie de l’établissement. Et aussi de célèbres élèves dont la liste reste à l’évidence incomplète : Honoré de Balzac, René Boylesve, Yves Bonnefoy, Jean-Marie Laclavetine, Martine Le Coz, Jean Carmet, Jacques Villeret, Patrice Leconte, bon nombre de futurs militaires, médecins, journalistes, avocats, industriels etc… On ne saurait oublier Léopold Sédar-Senghor, agrégé de grammaire, affecté au lycée d’octobre 1935 à juillet 1938 (c’était son premier poste), dont la pédagogie alors révolutionnaire et la personnalité suscitent encore l’admiration et l’émotion de ses anciens élèves de 6ème. Ce brillant professeur s’est plu à rappeler que ses années tourangelles furent sans doute les plus émouvantes de sa vie ; plusieurs de ses poèmes rendent compte de son immersion dans la vie de la Touraine. Mais les guerres ont souvent assombri la vie de l’établissement, comme l’occupation d’une partie du lycée par l’armée allemande à partir d’avril 1942 et les déportations de plusieurs enfants juifs. Daniel Decourdemanche, agrégé d’allemand (dit Jacques Decour dans la Résistance), qui fut professeur au lycée de 1936 à 1937, est arrêté à Paris et fusillé au Mont-Valérien en 1942.

Lycée « de la ville », le lycée Descartes doit beaucoup au soutien constant apporté par la municipalité, (ne serait-ce qu’en raison des origines de cet établissement) et par les conseils régional et départemental. Signe et clin d’œil sans doute : la proximité géographique d’une part du temple où les « prytanes » décident de l’avenir de la cité et d’autre part du célèbre « bahut » où les jeunes citoyens, comme sur l’agora antique ou la palestre, découvrent les règles et les responsabilités de la vie en société, les richesses de l’esprit et les joies des exercices sportifs.

Ce texte est le résumé par son auteur, Michel Laurencin, de l’ouvrage rédigé à l’occasion du bicentenaire de l’établissement Le Lycée Descartes Histoire d’un établissement d’enseignement à Tours (1807-2007).

Michel Laurencin, né en Touraine, ancien élève du lycée, professeur honoraire agrégé d’histoire, docteur en histoire, a enseigné en classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Descartes de 1996 à 2004.

Sur le même thème : « Le lycée Descartes inscrit au patrimoine national »

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